L’âme et le corps
C’est pas joli-joli ce qu’ils ont
fait... Il serait facile d’ironiser sur une institution qui est ce qu’elle est,
façonnée par une histoire millénaire, et prétendant conduire femmes, hommes à
une vie éternelle et à un surnaturel qui ferait la nique à la mort. Je dois
vous expliquer pourquoi je commence par-là : c’est en fonction de ma
propre (enfin propre, je crois, j’espère)) histoire avec l’église catholique. Mes
seules relations avec elle depuis qu’adolescent je suis devenu lentement, mais
sûrement, et fortement athée, se résument aux offices catholiques des obsèques
de ceux que je veux accompagner comme on dit « jusqu’à leur dernière
demeure ». Là j’écoute attentivement ce que dit l’officiant au cas où (on
ne sait jamais). Je comprends presque tout, j’ai de sérieux restes d’une solide
formation catholique. Et je suis profondément marqué par cette ambition sans
cesse réitérée de permettre à nos âmes errantes d’être plus fortes que le
temps, plus fortes que la mort, d’assurer leur salut éternel. Et je me dis que
depuis des siècles des hommes d’églises consacrent leur vie à faire partager une telle foi : quelle
santé pour les âmes.
La santé des corps.
Mais pour la santé des corps, c’est
un peu plus compliqué : les événements récents illustrent cette difficulté
(euphémisme !). Le corps, c’est cette enveloppe qui nous a été donnée,
pour vivre notre passage terrestre et qu’il convient de surveiller, il porte
une faute originelle. Il ne faut pas le laisser faire ce qu’il veut : il
nous ferait faire des bêtises, des péchés, comme ils disent. D’où la
surveillance tous azimuts, les sacrements et tout le toutim. Les brides mises
sur les désirs, et plus particulièrement ceux liés à la sexualité. Pour les
hommes et femmes d’église, les brides seront plus exigeantes encore, le célibat
des prêtres est comme l’emblème de ces exigences-là. La vie monastique pousse
le bouchon encore plus loin : la règle de l’ordre impose au corps de se soumettre
à la vie de solitude, de sacrifice, de contemplation, de prière, voie vers le
salut des âmes.
Les ratés
Ça marche ? Jusqu’au moment où
on constate des ratés : et là nous en avons un gros qui couvait depuis
longtemps. De jeunes garçons avaient dévoilé, souvent des années après les
faits, une fois devenus adultes, des abus sexuels dont ils avaient été victimes
lors d’activités avec des prêtres qui semblaient se prévaloir de leur mission
pour se permettre des actions que tout simplement la morale réprouve, d’autant
plus qu’elles visent des mineurs. L’institution a pendant longtemps fait la
sourde oreille, a minimisé les faits, malgré l’insistance troublante des
victimes.
Les abus
Une commission indépendante sur les
abus sexuels dans l’église catholique (Clase) a été chargée d’apporter ses
lumières sur le phénomène, de faire un bilan de ce qui s’est passé depuis 1950.
Le mardi 5 octobre, elle a rendu son rapport, qui a surpris tout le monde. Il
s’agit selon son président Jean-Marc Sauvé d’un état des lieux
« particulièrement sombre ». L’Eglise est, après la famille,
l’instance où les violences sexuelles subies sont les plus nombreuses. La
commission fait état de 216 000 victimes pendant les 70 ans écoulés et note un
phénomène « massif » et « systémique ». Une
évaluation du nombre de prêtres ou religieux auteurs de ce type d’agression pourrait s’élever entre 2900 et 3200, à mettre en relation avec les 115 000 prêtres ayant exercé.
L’église est d’autant plus secouée
que la commission parle à son propos d’ « occultation, »,
de « relativisation, voire déni ». Les victimes sont
satisfaites d’être enfin reconnues pour ce qu’elles ont subi, elles demandent
indemnisation, et nouvelle gouvernance de l’institution. Autre donnée avancée
par un membre de la commssion « L’église est un observatoire privilégié de
la domination masculine… Le fonctionnement patriarcal de l’Eglise favorise la
survenue des violences sexuelles » On s’en doutait un peu.
Une vie éternelle qui risque de ne pas être jolie-jolie
Les églises sont ici, laïcité
oblige, et c’est très bien ainsi, hors de la compétence des gouvernements, mais
pas au-dessus des lois et on doit se satisfaire de voir la société ne plus laisser en dehors de la loi des actes
qui pèsent plus que lourdement sur la vie de ceux qui en sont victimes. La
justice des hommes (et femmes) d’abord !
Que penser de ces événements ?
La dichotomie absolue entre l’âme et le corps ne serait-elle pas un peu en
question ? Vouloir imposer, au nom d’un surnaturel éternel et révélé
auquel ils adhérent, aux corps des laïcs, comme des clercs, des contraintes,
des interdits, des cuirasses qui sont la négation de leur vie expose leurs âmes
à de sérieuses mésaventures et à une éternité qui pourrait ne pas être
jolie-jolie.
Jean-Marie Philibert
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