L’âge de la
jungle
Il y a eu l’âge de pierre, l’âge du bronze, l’âge du fer et
puis il y a eu l’histoire avec ses hauts et ses bas et puis l’histoire s’est
mise à hoqueter et puis il y a aujourd’hui, comme un retour à la case départ,
l’âge de la jungle.
Des enfants, des femmes, des hommes, de toutes origines, de
toutes les couleurs s’agglutinent dans des zones improbables au bord d’une mer,
d’une ville, d’un pays dans l’espoir d’un départ impossible vers une terre
susceptible de les accueillir et en attendant ils vivent la sauvagerie de la
jungle. Ils n’ont rien ou si peu, si ce n’est une volonté forcenée de vivre.
Paradoxalement Ils y retrouvent la sauvagerie du monde qu’ils avaient fui, la
solitude de leur destin, des pouvoirs aveugles à leurs misères, la faim
impossible à assouvir, la violence et la
mort qui rodent. Ils étaient prêts à tout tenter pour en sortir, à payer cher
des fripouilles sans scrupules qui profitaient de leur errance et se retrouvent à la porte de ce qu’ils
voyaient comme un eldorado …dans un milieu tout aussi hostile. La jungle de
Calais !
Un horizon
indépassable
Une jungle que les pouvoirs publics, que la police, que les
gouvernements successifs vident et détruisent régulièrement, mais qui se
remplit tout aussi régulièrement de la même humanité souffrante. Comme si la
jungle, sa loi, ses réalités, sa sauvagerie étaient devenues notre horizon
indépassable. L’horizon indépassable d’un monde tourneboulé qui a oublié que
l’histoire pour ne pas mourir se doit d’avancer. A Calais l’histoire
s’arrête !
La jungle de Calais, au-delà des images bien réelles d’un
bidonville, en viendrait presque à représenter pour moi aujourd’hui le tableau
métaphorique et emblématique de notre incapacité collective à affronter notre
destin face à un monde dont les lois, les règles, les usages dépassent notre
entendement. Nous sommes comme les migrants de Calais dans un monde que nous
savons riche, mais qui ségrégue, qui isole, qui marginalise les gens de peu,
(même s’ils sont le plus grand nombre). Nous sommes exclus de la plus grande
partie de ses bienfaits, nous sommes condamnés à la précarité, à la pénurie.
Nous passons notre temps à nous bouffer le nez entre nous dans des querelles stériles,
jusque parfois en oublier notre humanité, nous nous laissons trop souvent
ballotter par des pouvoirs dont le visage essentiel est celui de la police.
Nous avons appris à nous satisfaire du minimum vital qui nous est distribué
avec parcimonie, nous avons accepté que la charité passe avant la justice. Nous
deviendrions presque racistes.
Lanternés
Nous nous laissons lanterner par toutes les sornettes que de
grands manitous nous racontent dans une petite lucarne qui détruit à petit feu
notre esprit critique, qui anesthésie notre conscience. Nous perdons le sens du
monde, nous perdons parfois jusqu’au
souvenir d’une vie normale faite de travail, de salaire, de droits pour nous
arranger de petits riens qui deviendraient l’essentiel d’une vie vide dans l’attente
d’un hypothétique sauvetage qui ne viendra jamais. L’idéologie de l’inégalité
nous a phagocytés au point d’accepter l’arrogance des puissants. Nous serons
remerciés pour notre abnégation, notre résignation, notre sagesse, tel un bon
sauvage qui sait rester à sa place de peur de payer cher toute forme
d’outrecuidance. La jungle de Calais est dans l’ordre de notre monde.
Un ordre à
subvertir
D’où la seule nécessité qui
vaille : celle qui à Calais comme ailleurs se refuse à penser
l’impensable, celle qui fonde la justice sur la conception la plus exigeante de
l’humanité, de la liberté, celle qui ne recule pas devant l’impératif de
subversion d’une société où les égoïsmes le disputent à la sauvagerie. Il faut
détruire toutes les jungles, à Calais, comme ailleurs. C’est une tâche
collective, solidaire, salutaire pour laquelle nos habitudes de luttes nous
aideront. IL faut les détruire pour aujourd’hui et pour demain parce que la
barbarie est faite pour durer si nous ne retroussons pas nos manches. Ensemble,
camarade, avec tous les volontaires du progrès. « C’est un joli nom
camarade », il aide régulièrement à (re)construire notre histoire humaine.
Actuellement elle en a bien besoin.
Jean-Marie Philibert.
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