POUR L’AMOUR DE LA LANGUE
L’amour de la langue… C’est de cet inconnu que je souhaite
parler ! L’amour de la langue parce qu’il nous constitue, parce qu’il nous
nourrit, parce qu’il nous a construits, parce qu’il nous forge, parce qu’il
nous ouvre aux autres… aux autres langues aussi, parce qu’il est rencontre,
ouverture, enrichissement, cultures (au pluriel bien sûr !)…
UN CHEMIN
« BONHOMME »...
Eh bien, l’amour de la langue, c’est un peu comme l’amour
des enfants : on les aime, on les adore, on veut en faire ceci ou cela, on
les imagine à l’image de ce que l’on aurait aimé être, on les forge (on essaie)
et il arrive qu’on se rate. L’enfant sera ce qu’il a choisi d’être, nourri de
votre amour, de votre histoire commune, il construira sa propre histoire pour
exister. La langue, depuis de longues générations, nous la construisons, nous
la faisons croître et proliférer pour dire le monde, la vie, nos vies, nos
humanités. Comme pour nos enfants, nous dépensons beaucoup d’énergie pour elle,
et elle nous le rend bien en accompagnant nos moments de joie ou de détresse,
nos moments de partage, comme de solitude. Mais elle nous donne parfois le
sentiment de ne pas être à la hauteur de toutes nos attentes, d’échapper à nos
désirs pour mener son « bonhomme » de chemin.
Un chemin si « bonhomme » qu’elle a développé en
son sein des usages au sexisme avéré et qu’elle a ainsi participé de la
domination de la moitié masculine de l’humanité sur l’autre moitié féminine.
D’où les préconisations du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les
hommes, dès 2015, de promouvoir une écriture inclusive qui a pour finalité de
fonder une communication publique sans stéréotype de sexe.
INCLUSIVE OR NOT
L’écriture inclusive se définit par « l’ensemble d’attentions graphiques et syntaxiques
permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les
hommes ». D’où l’obligation d’accorder les fonctions, métiers, titres…
en fonction du genre : l’auteur femme sera auteure, ou auteuse ou autrice.
Il faudra utiliser à la fois le masculin et le féminin quand on parle d’un
groupe indifférencié, par exemple les agriculteur-trice(s). Le masculin ne
l’emportant plus sur le féminin !
On accordera donc au plus près : les garçons et les
filles sont contentes. Et dernière horreur à proscrire à tout jamais : ne
jamais mettre une majuscule à Homme pour désigner des hommes et des femmes qui composent
ensemble, qui régénèrent ensemble l’humanité.
La légitimité des propositions faites est
incontestable : la langue est imprégnée d’une idéologie anti féministe. Et
les combats des femmes, mais aussi des hommes pour plus de justice, pour plus
d’égalité, pour plus de liberté ont eu des effets limités. Les tentatives des
forces réactionnaires pour empêcher tout progrès ont très souvent cherché à perturber les valeurs, les
représentations et les mots qui vont avec ; écoutez ce qu’ils ont fait des
mots démocratie, ou socialisme.
UNE BRÈCHE ?
Faut-il donc se précipiter dans la brèche grammaticale
ouverte pour, dans ces temps où le harcèlement des femmes devient une réalité
insupportable, en finir au moins avec les injustices de la langue ? Ma
réponse est que la vérité n’est pas plus du côté des vieilles barbes de l'Académie française
que de celui des passionné(e)s de l’inclusive. L’économie de la langue repose
sur un usage dont tous les mécanismes nous échappent un peu, mais qui la régule
sur des pratiques qui parviennent souvent à combiner efficacité linguistique,
pertinence sociale et invention. L’usage a su souvent prendre le contre-pied des blocages, des malhonnêtetés, des turpitudes.
UN PIÈGE ?
Confondre les mots, les phrases et les choses qu’ils-elles
représentent est un piège dans lequel les réformateurs de pacotille veulent
nous prendre pour nous convaincre que les mots suffisent à changer la vie. Les
terrains sociaux, linguistiques, philosophiques sont imbriqués d’une telle
façon que seule une approche globale est efficace pour faire bouger les lignes
d’une vie à écrire où une moitié des êtres humains n’aura plus à craindre pour
elle-même. Je serai enclin à nous inciter tous ensemble à détruire les murs qui
gâchent-cachent notre avenir commun. Pour cela nous avons besoin d’une langue
certes complexe, mais riche de toutes ses strates et de toutes ses potentialités. Evitons d’en faire
un simple artifice ; la confusion, genre-sexe pourrait y conduire.
Préservons-la. Elle est précieuse. Elle est comme nos enfants : faisons tout
pour elle, mais laissons-lui sa liberté, elle est notre avenir ! L’amour
de la langue... toujours.
Jean-Marie Philibert
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