La Bourse
dans son histoire et dans l’histoire
Dans un article
précédent « La bourse et la vie », nous avons mis l’accent sur les conséquences négatives de la disparition
de la Bourse du travail, Place Rigaud, pour cause de bibliothèque universitaire
à implanter. La presse locale est revenue sur cette information en interrogeant
des responsables CGT. Le TC a cherché à
en savoir plus, à revenir sur l’histoire,
la valeur, l’intérêt du bâtiment et de son maintien en centre ville.
Nous avons interrogé l’historien André Balent.
André, que
sais-tu de l’histoire du bâtiment ?
C'est la municipalité de Louis Caulas, maire
radical, qui a décidé la construction du bâtiment de la place Rigaud destiné à
la Bourse du Travail oeuvre de Léon Baille, architecte de ma ville. Ils furent
inaugurés le 31 mai 1903.
La Bourse du travail de Perpignan fut créée grâce
à une première subvention de la municipalité de Perpignan aux syndicats de la
ville (2000 fr. le 24 avril 1893 des locaux municipaux chauffés et éclairés ;
3000 fr. le 10 novembre 1893). La Bourse du Travail de Perpignan ouvrit le 1e
février 1894 dans les locaux "provisoires" de l'ancienne école
professionnelle de la place Rigaud (inauguration 17 mars). À cette date parut
le n° de La Bourse du Travail, mensuel, remplacé en janvier 1911 par L'Action
syndicale un autre mensuel qui parut jusqu'en 1940.
La construction
fut financée par des municipalités radicales qui craignaient que les syndicats
n'échappent à son influence (ce qui advint). Il a été conçu d'emblée pour
abriter les syndicats ouvriers. Plus d'un siècle, donc, de présence syndicale.
Lieu de mémoire du mouvement social et syndical.
Peux-tu
nous parler de son intérêt architectural ?
Il est de premier ordre.
Léon Baille (1862-1951) a été, entre autres architecte de la ville de Perpignan
pour laquelle, il réalisa de nombreux édifices : certains emblématiques comme l’hôpital
Saint-Jean de Perpignan dont le fameux « anneau », récemment
démoli ; l’ancienne école primaire supérieure, aujourd’hui collège
Jean-Moulin (avec un remarquable portail d’entrée sculpté œuvre de Gustave
Violet, un des grands artistes (nord) catalans de la première moitié du XXe
siècle) ; l’annexe de l’ancien collège de garçons devenue l’annexe de de
l’ancienne école des Beaux-Arts ; la Bourse du Travail. Il travailla comme
architecte libéral pour des particuliers : des maisons à Perpignan et
surtout, l’Hôtel du Belvédère du Rayon Vert, mondialement connu, à Cerbère. Il
a tâté à divers styles, de l’éclectisme à tendance historiciste, jusqu’au
modernisme, devenant un des pionniers dans l’utilisation du béton pour des édifices
destinés à abriter des activités humaines. La Bourse du Travail est une
réussite en ce sens que, de style d’inspiration classique, elle a une allure
monumentale tout en étant implantée en un lieu exigu. Ce qui montre le talent
de l’architecte qui a su s’adapter à des contraintes spatiales sévères. On
considère que Baille a été un architecte de très grand talent.
Au-delà
des murs, des formes de la bâtisse, peux-tu évoquer son intérêt patrimonial ?
Il est aussi de premier
ordre. Il est lié à toute l’histoire du mouvement ouvrier et social à Perpignan
depuis la fin du XIXe et jusqu’au début du XXIe. Il faut préserver cette
mémoire en l’affichant dans le cœur de la cité. D’ailleurs, le bâtiment a été
construit pour ça . Accessoirement : pour donner un temple à la
communauté réformée de Perpignan (nous sommes avant la loi de Séparation de
1905) : il est donc aussi lié à la mémoire du protestantisme à Perpignan.
C’est le plus vieux bâtiment de l’Église réformée de France dans la ville.
Qu’ont
représenté les Bourses du Travail ?
Pour la France, elles
représentent un moment capital dans la construction du mouvement ouvrier qui
renaît de ses cendres après la Commune. Les Bourses naissent sous l’impulsion
de Fernand Pelloutier (1867-1901). Il est devenu le secrétaire de la fédération
des Bourses du Travail (1895), préalable à la constitution de la CGT la même
année. Les Bourses permettent : le placement des travailleurs ; l’organisation
des syndicats (sièges d’UD et d’UL) ; elles sont aussi des lieux
d’éducation ouvrière (réunions, bibliothèques ; mise en place des
Assurances sociales en 1930 avec la fondation par les syndicats de la caisse Le
Travail). À Perpignan : siège des syndicats de la CGT et de la CFTC (après
1919, pour cette dernière ; localement très minoritaire). Dans l’entre
deux guerres, (1922-1935), la CGTU s’y est implantée. Avec la scission de 1948,
FO et la FEN en sont parties ; En 1964, la déconfessionnalisation de la
CFTC entraîna la création de la CFDT et le départ des lieux de la CFTC
maintenue. De 1940 à 1944 : siège des syndicats vichystes dirigés
par d’anciens de la CGT (tendance « confédérée) dissoute.
Sont
passés par la Place Rigaud tous les mouvements sociaux, peux-tu rafraichir
notre mémoire ?
Toutes les grandes grèves
et mouvements sociaux d’importance locale, régionale ou générale depuis le
début du XXe siècle.
1904 ; grande drève
des Agricoles ; 1920 , grève des cheminots ; 1934, :
antifascisme et grève du 12hec) ; février : grèves de juin
1936 ; grève générale du 30 novembre 1938 (échec) ; soutien à
l’Espagne 1936-1939, organisation de l’accueil des enfants espagnols ; grèves
de 1947 ; de 1953 (cheminots, et , localement des Agricoles) ;
mineurs en 1962-63 ; mai 1968 ; accueil de travailleurs immigrés dans
les années 1970 ; mouvement social de décembre 1995 , etc ...
Ton
sentiment sur le projet en cours ?
Il faut lutter pour
conserver en l’état ce bâtiment qui présente un intérêt architectural
remarquable. Il faut lui conserver son affectation première ; et faire en
sorte que dans ce quartier central ne disparaisse pas le souvenir de la mémoire
du mouvement syndical et des luttes sociales. Ce dernier enjeu est capital.
Propos d’André Balent,
recueillis par JMP